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Aichapapillon
22 juillet 2008

Soleil noir

N01981_9

La vie m’a joué un tour.

Elle me connait si bien, tous mes travers, tous mes penchants, elle sait comment me perdre, comment me retrouver. Elle connait jusqu’aux racines de mon cœur. Elle est la terre fertile dans laquelle je grandis irrémédiablement, malgré le vent, malgré la soif parfois si vive si intense, cette soif de lumière quand la nuit s’éternise.

La vie me tient par la racine. J’ai beau râler, geindre, la rabrouer, je ne suis rien sans elle. Elle et moi sommes comme les vieux amants de la chanson : « de l’aube claire jusqu’à la fin du jour », c’est son chant qui fait vibrer mes veines.

Elle m’a porté jusqu’à ce jour, jusqu’à cette rue montante et sombre, jusqu’à cet entrepôt étroit au fond duquel un homme.

Je ne me suis pas méfiée ; il avait grise mine derrière sa caisse jaune et ses papiers en vrac. Aucun soleil ne pouvait arriver jusque là. Et mon cœur était resté à la porte comme un chien attendant patiemment sa maîtresse. Je rêvais d’être ailleurs et pourtant j’étais là. J’ai appris que la vie est jonchée de misères autant que de beauté. J’ai appris à accepter cela. J’ai même appris à l’aimer telle qu’elle est cette passante folle.

L’homme m’a serré la main. Il paraissait surpris. Il sortait de sa grisaille, un peu étourdi par ce réveil soudain. Je ne voyais rien venir, seulement cet homme courbé qui me serrait la main. Puis nous avons parlé. Rien de très mémorable au début…du moins je ne m’en souviens pas. Seulement ses yeux. Ses yeux étrangement m’avaient saisie. Je ne me méfiais pas. Je disais des mots bas, des mots sans intérêts, aucun silence pour me sauver de ces yeux-là.

« Un café, voulez-vous un café ? Asseyez-vous… » L’homme avait un accent étrange, différent de celui auquel j’étais habituée. Il venait d’un pays où longtemps j’avais voulu aller. Puis nous avons glissé ensemble.  Je n’ai rien vu venir. Il s’est mis à parler de lui. Il a parlé longtemps. Il n’en revenait  pas. C’est toujours comme ça que ça commence. On dérape et on est surpris que l’autre vous rattrape. Et je l’ai rattrapé. J’ai pris un autre café.

Il s’est mis à parler de bonheur. Il a dit que c’était un devoir pour lui d’être heureux, qu’il écrivait de la poésie en trois langues parmi les cinq qu’il connaissait. Peut-être était-ce de la poudre aux yeux mais comment savait-il que j’écrivais moi aussi tous les soirs secrètement des poèmes inutiles et verdoyants ?

Il ne pouvait savoir. La vie savait, elle, vers qui elle m’entraînait ce jour-là sans prévenir. Un inconnu familier, un de ces êtres qu’on connait déjà avant de les rencontrer. Ils savent sans parler ce qui étreint le cœur, le presse jusqu’au vin de la grâce. Un instant partagé hors du monde, à se croire seuls et toute une vie à se raconter.

Aucun soleil ne pouvait arriver jusque là. Aucun soleil ne donnait autant de lumière que ses yeux noirs. Ses yeux éblouissants…

Illustration: Célébration de  Joseph Mallord William Turner

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Commentaires
J
Les cordes vibrent<br /> et plus un silence pour les arrêter.<br /> Un sourire pour toi,
L
Quelle belle plume délicate que la tienne, chère AÎCHA. Ce récit là est envoutant, on se laisse porter, on est "embarqué" immédiatement dans ce voyage immobile, prémice d'un autre voyage... <br /> "Aucun soleil ne donnait autant de lumière que ses yeux noirs".<br /> <br /> Les yeux noirs de Baudelaire t'inspirent énormément...
A
Fée des brumes> Oui une belle renontre, un instant qui semble hors du temps, toujours vivant...:)<br /> <br /> Dourvac'h> Je suis heureuse d'avoir fait mouche...cette eau n'est pas si limpide, souvent troublée par le doute. L'important est de laisser l'autre libre de s'y baigner...Un miroir pour se baigner, une douce réflection.;)
D
Un récit bien étrange... la force hypnotique d'yeux noirs... un entrepôt... une caisse jaune... un homme venu d'un pays où l'on a rêvé de se rendre un jour... et l'envie vous prend d'être ailleurs... mais la voix qui se raconte... qui raconte la quête erratique du bonheur... comme tout cela fait mouche, chère Fée Aïcha... et ta bannière est splendide !<br /> <br /> Bon sang, comme tu écris bien... tu trempes la plume dans l'eau claire de ton coeur...
F
Jolie rencontre ... Que ces yeux noirs t'éblouissent longtemps !
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